De Mulhouse à Bantzenheim

[CANCE Raymond]

De Mulhouse  à Bantzenheim

 Le 23 décembre, après un passage  au  dépannage à Brunsttat ou il a été rapiécé, le TD »IFERT » est en position à Mulhouse au Parc Tivoli, à côté du  «  Monument du Travail » face au pont.
   Dans ce secteur de la gare nous sommes bombardés toutes les nuits par de gros calibres depuis l’Allemagne. Il fait très froid, entre Noël et le 1^er de l’an, le thermomètre descend à moins 25 degrés.
  La neige, le froid, le verglas obligent les moteurs  à tourner sans arrêt pour ne pas geler, dans le char,  c’est pire, car l’aspiration de l’air des moteurs passe à l’intérieur, en bas de la tourelle.
  Par 3 fois le char quitte cette position pour faire « des démonstrations de force »  dans Mulhouse.
  Le 20 janvier le char est de nouveau  au dépannage pour changer un moteur. Nous sommes à Brunstatt  lorsque  se déclenche l’attaque générale. On entend le roulement   de notre artillerie qui dure toute la journée. Nous n’avons pas participé à ces très durs  combats dans les cites au nord de Mulhouse. Le 6 février on rejoint le peloton à Zimmersheim, le 7, on arrive à Ensisheim inondé, on ne peut pas passer, on attend un pont. Le 8 à travers la Forêt de la Hart, on remonte les colonnes des fantassins du 21^ième R.I.C. Au cours des arrêts fréquents  de notre TD,  je peux observer, marchant sur 2 files, une de chaque côté de la route, le fusil à la bretelle, grenades quadrillées accrochées par l’anneau de la cuillère, fusiliers- mitrailleurs de moins de 20 ans, pièces sur le dos, pourvoyeurs un caisson à chaque main, avec  leurs longues bandes souples de cartouches croisées sur la poitrine, hommes des mortiers caparaçonnés, alourdis par les charges d’explosifs, et  les gradés à peine un peu plus âgés, Thompson ou carabine sur la poitrine, montant ou descendant les sections, comme des bergers vigilants , tous ces jeunes engagés volontaires qui ont remplacé nos Sénégalais du 4^ème RTS et qui viennent de se battre dans les cités.

  Au débouché de la forêt, il y a un grand espace nu avant d’atteindre Bantzenheim, l’infanterie se heurte  à une violente résistance ennemie, des tirs ajustés, des feux croisés d’armes automatiques clouent au sol les éléments de tête, tandis que des salves d’artillerie s’abattent sur la route et dans la forêt. On ne  voit rien, mais l‘ennemi bien retranché derrière le canal de la Hardt, nous voit et tire sur tout ce qui bouge, notre char quitte la route et rentre dans la foret, il se place  à la lisière entre 2 gros arbres : l’adjudant Vincenti couché près de notre char prend une balle dans un pied, il est évacué. Notre  char tire et démolit le clocher de Bantzenheim, soudain une explosion  sur le tronc de l’arbre de gauche à moins d’un mètre du char, et une grande fumée, note pilote fait une prompte marche arrière parmi les arbres, heureusement  qu’il avait fermé son volet à cause du tir du canon et des balles qui sifflent de tous les côtés .Une fois encore on l’a échappé belle, il ne doit pas y avoir de canon anti-char, on reste prudemment  en retrait dans le bois  pour ne pas être la cible d’un nouveau coup de Panzerfaust ou Panzerschreck.  

            Panzerschreck                 « la terreur  du char »  RPzB43  " lanceur de roquette anti-char" portée  220 mètres.                                                                                                                                   

                                                  

Ogive charge de Panzerfaust           
  portée 60 à 80 mètres                  

 

 

Je ne pense pas qu’un tireur de Panzerfaust se soit approché, à moins de 100 mètres du char,  sur ce terrain  complétement nu depuis la foret jusqu’au au village, on l’aurait vu, on aurait surtout vu la fumée au départ du tir : je crois plutôt que c’est une roquette de Panzerschreck tirée depuis  l’autre côté du canal dont on n’a pas vu non plus la fumée au départ du tir

Des éléments du 21éme  RIC qui s’étaient avancés, se replient difficilement, il y a de lourdes  pertes. La pluie fine ne cesse de tomber. Les sifflements qui déchirent l’air glacial de leurs cinglantes trajectoires, les explosions des obus tard dans la nuit, et un formidable orage  sur nos têtes, avec des coups de tonnerre et des éclairs  à la cime des arbres, dans cette nuit d’apocalypse, nous empêchent de dormir. Sous la bâche fixée sur la tourelle, comme un dais, nous sommes figés.    Je pense à mes camps scouts, aux soirées de feu-de-camp, à nos chansons, à ma première nuit à la belle étoile !
Enfin l’orage disparait, les Allemands ont  tiré leurs derniers  obus. Le matin du 9 février tout est calme, sans combattre, nous passons  dans Bantzenheim  devant le clocher que nous avons démoli la veille. Il ne reste plus en France que des Allemands morts ou prisonniers, les autres ont repassé le Rhin et fait sauter le pont de Chalampé.
Commencée le 20 aout  au débarquement de La Nartelle, notre campagne pour la Libération de la France s’est terminée le 9 février à Bantzenheim,  Je n’ai pas vu le RHIN à Chalampé, car notre TD «IFERT » à bout de souffle, a refusé d’aller plus loin.

   CANCE  Raymond   
Ancien du 3éme  Escadron Capitaine Maurel  1^er Peloton   Lieutenant Roussel