LETTRES DU GENERAL BINET du 19 OCTOBRE 1944 - 1/3 (Période d'août à octobre 1944)

[DALAT (Administrateur)]

Lieutenant Binet 19 octobre 1944
Aux armées
SP72410

Mes chers parents,

Si vous avez été contents de recevoir de mes nouvelles, vous devez vous imaginer ma joie en recevant ces bonnes lettres de Bézouotte et de Dijon. J'ai reçu jusqu'à présent deux lettres de la Tante et deux cartes, une de la tante et une de papa. Je crois que maintenant la, poste va fonctionner régulièrement. Cela change des messages de la Croix rouge par G Genève. J'en ai reçu deux en deux ans, dont un m'annonçant la mort de grand père. 1 J'ai lu et relu vos lettres je ne sais combien de fois. Cela fait rudement plaisir de vous savoir en bonne santé, car je me suis fait plus d'une fois du souci pour vous et j'attendais avec impatience la première lettre.

C'est si drôle de recevoir de vos nouvelles et de pouvoir s'écrire que je ne sais plus quoi vous dire. Un de ces jours, je commencerai à vous raconter ce que j'ai fait depuis que nous étions séparés, du moins aussi bien que je pourrai car je n'ai pas noté les dates, ni ce que je faisais.

En gros, j'ai quitté l'A.O.F en mai. Je suis resté assez longtemps au Maroc, faisant beaucoup de stages à Casa, Fez, Rabat. J'ai pu visiter à loisir tout le nord du Maroc. Je suis ensuite allé à Alger, du mois de novembre 1943 au 15 février 1944, toujours plus ou moins en stage. Je suis ensuite revenu près de Marnia où j'avais passé pas mal de temps en 1941. Puis, cela a été les déplacements précédant l'embarquement, un bref séjour en Corse, et le 22 août le débarquement en France près de Sainte Maxime, dans un coin que je connaissais un peu pour y avoir passé quelques jours avant de m'embarquer pour l'A.O.F.

Nous sommes passés ensuite par Toulon, Sisteron, Grenoble et plus haut. Je ne suis pas passé à Gap comme me le demandait la tante. Nous sommes restés quelques jours près de Voiron, chez de très braves gens repliés de Lyon qui nous ont reçus vraiment comme les fils de la maison. J'étais avec un RobIot que la tante connaît. Je suis passé au pays où nous nous sommes vus pour la dernière fois, mais malheureusement j'ai pris la direction presque opposée de Bézouotte.

J'ai été très content d'apprendre qu'Albert et Pierre se sont engagés. Je suis très fier de savoir qu'Albert était au maquis. Je cherche à rejoindre Pierre, s'il n'est pas trop loin de chez moi, j'irai le voir en jeep quand j'aurai un moment et que j'aurai identifié son unité. Pour Albert, ce qu'il a fait est très bien mais je crois qu'il aurait intérêt à s'engager dans des troupes régulières. Dommage que je ne puisse lui faire connaître mon régiment, car si les F.F.I ont été au poil pour faire la guérilla, tous ceux que je vois maintenant ne sont pas très bien adaptés à une guerre moderne. Mais son unité peut être très bien, car j'en ai vues de valeurs très différentes. Pour moi, je vous ai donné le début de mon itinéraire. Je suis arrivé trop tard, ou pas au moment voulu pour la bagarre, sauf peut être quelques obus. Nous ne sommes pas bien loin maintenant mais ma grande activité est de me promener sous la pluie qui n'arrête pas depuis un mois et demi, c'est vraiment catastrophique que d'avoir un temps pareil. Je n'ai jamais vu autant d'eau et autant de boue et les souliers américains ne sont pas imperméables. On en a d'ailleurs parfois par-dessus les souliers. Mais tout cela n'est rien, la vie est assez occupée et donc bien agréable.

Ecrivez-moi souvent, cela fait tant plaisir de recevoir de vos nouvelles, surtout lorsque l'on en a été privé si longtemps. Je vous embrasse tous bien fort.

Louis