Mes chers parents, 8 décembre 1944
Je vais vous continuer ma petite histoire d'A.F.N. Je crois en être resté vers le 15 juin, lors de mon séjour à Casablanca.
Le 15 juin: Départ pour Fès au 1er régiment étranger de cavalerie, régiment de reconnaissance d'une division blindée. Je dois y rester en stage 3 mois et demi. Très bien accueilli par les légionnaires qui ont vraiment le sens de l 'hospitalité. Du 16 juin au 1 er juillet, beaucoup de travail pour me mettre au courant du matériel américain. Tout est neuf pour moi, armement, matériel auto, matériel radio . .J'ai revu avec plaisir la ville indigène de Fès où j'avais passé 48 heures en juillet 1940. C'est vraiment la plus belle ville indigène du Maroc, plus de 100 000 habitants. On peut marcher des heures dans les ruelles étroites, sombres, tortueuses, désertes ou au contraire grouillantes de vie, où tous les artisans, groupés par corporations travaillent dans des boutiques minuscules, ouvrant directement sur la rue. C'est un pays qui n'a pas changé depuis le Il èmc ou 12ème siècle. Les premières fois, on s'y perd vraiment et il est nécessaire de prendre un guide. Au bout d'un certain temps, on arrive à se débrouiller mais il m'est arrivé parfois de sortir à quatre ou cinq kilomètres de la porte d'entrée habituelle.
Dans la deuxième quinzaine de juin, j'ai passé dix jours au sud de Séfrou (sud de Fès) à Annoceur, dans le moyen Atlas. A plus de 1000 mètres d'altitude, dans un pays magnifique, mais où il fait très froid la nuit. Complètement déshabitué de ces températures, dès quatre heures du matin je suis obligé de me lever et de battre la semelle, car je grelotte sous ma guitoune bien que j'entasse sur moi tout ce que j'ai de couvertures et de vêtements. Nous y faisons des manœuvres très intéressantes et aussi des chasses au canard sur les lacs de la montagne avec des jeeps amphibies.
Juillet - Août: Toujours à Fès où je suis rentré à la Légion au début de juillet. Nous sommes à côté d'un régiment de parachutistes français. C'est très drôle de les voir descendre à longueur de journée. 14 juillet à Fès. Très beau dégagement de la Légion et des goumiers récemment rentrés de Tunisie. Fin juillet, départ pour 15 jours de manœuvres à Petit-Jean. Il fait une chaleur épouvantable, pas d'air du tout. Le pays est assez moche. C'est la grande plaine du Sebou, pays très riche au point de vue agricole avec d'immenses fermes, certaines de plus de 1000 hectares. Vers le 15 juillet sont arrivés d'A.O.F deux officiers de mon régiment qui sont en stage avec moi, le commandant Charles, maintenant mon colonel et le lieutenant Lizambard maintenant mon capitaine. Nous nous entendons très bien.
Septembre 1943 : Nous quittons définitivement Fès pour la forêt de la Marmora, toujours avec le 1 er R.E.C (régiment étranger de cavalerie). Au passage à Mekhnès défilé devant de Gaulle. Gros enthousiasme de la foule, mais cependant encore bien des réticences surtout chez les militaires,influencés par la propagande de Vichy. Heureusement que tout cela est fini maintenant. Dans la forêt, un mois et demi sous la tente bonnet de police, agréable au début par beau temps, mais, à partir du 20 septembre, il fait froid la nuit. Instruction, manœuvres, mais malgré tout travail insuffisant pour occuper une journée du fait que je suis stagiaire et que je n'exerce aucun commandement. Souvent, le soir, nous descendons à Rabat, distant de 15 à 20 kilomètres de notre bivouac. Rabat; la plus belle ville européenne du Maroc, ville bourgeoise de fonctionnaires, de retraités, ville administrative. Il y a aussi une ville indigène assez curieuse avec de beaux monuments arabes, mais insignifiants à côté de Fès. Ses environs sont très jolis; belles plages et vallées intérieures très accidentées malgré un relief très peu important.
Au début d'octobre, nous apprenons que la l0ème division d'infanterie coloniale à laquelle nous appartenions doit commencer à faire mouvement d'A.O.F pour le Maroc. Je descends à Rabat (caserne du R.I.C.M) pour préparer les cantonnements. C'est la course habituelle dans les intendances et les magasins pour compter les matelas, couvertures ... rien de bien drôle. Entre le 5 et le 10 octobre, je vais à Casa où le régiment débarque du bateau « Hoggar ». Les gens sont très fatigués et très changés par trois mois d'hivernage. Tous sont jaunes comme des citrons et ont besoin d'un sérieux repos. Départ pour Rabat et installation à la caserne où les gens doivent se reposer un mois.
J'en arrête là pour aujourd'hui car j'ai pas mal de paperasses à faire. Dès que l'on arrête, après une histoire comme celle de ces jours derniers, on vous réclame des tas de papiers; comptes rendus d'engagements, comptes rendus de pertes de matériels, propositions de citations ... Aussi je vais me dépêcher de finir tout cela.
Bons baisers à tous.
Louis
Vous devez être membre de RCCCinfo pour ajouter des commentaires !
Rejoindre RCCCinfo